juin 2005.

Cet essai examine le lien entre ma pratique en atelier et son fond critique et théorique. Ce fond traite de manière générale les questions d’abstraction et de représentation en peinture. Je me penche sur les questions portant sur la rhétorique des structures picturales en peinture, la peinture comme médium spécifique et l’histoire de ses transformations et de ses prises de position critiques. Un thème important et récurrent est celui de la relation entre l’hégémonie culturelle et l’abstraction picturale sur le plan des significations. Je souhaite cependant indiquer que mon œuvre n’est pas une démonstration simple de ce fond critique et théorique. Il s’agit d’une base sur laquelle s’appuie mon travail où se constitue une série de propositions formant un dialogue critique.
L’essentiel de la logique des stratégies picturales mises en oeuvre dans mes dernières peintures remonte au début des années 1990. Je vais donc donner une vue d’ensemble de ces origines avant de faire un compte rendu de mes derniers travaux.

Closer Than You Think

Entre 1994 et 1996 j’ai réalisé une série de peintures intitulées 'Closer Than You Think' (« Plus près que vous ne le pensez »). cette série se positionnait contre une perspective spécifique concernant les questions de la peinture et du médium, le tout dans un contexte culturel et historique plus général caractérisé par des enjeux d’hégémonie. Le fond discursif était le débat critique entre la « High Modernity » de Clement Greenberg et le minimalisme, en particulier celui des oeuvres et écrits de Robert Morris et Donald Judd. Comme l’a indiqué Michael Fried, le minimalisme était pour une large part la conclusion logique de la pensée de Greenberg (1). Morris et Judd ont relevé les points faibles des idées de Greenberg sur le médium et la condition picturale. Sans grande difficulté, ils ont su remettre en cause ce que certains considèrent comme une idée conservatrice de la peinture. Ils ont à leur tour adopté une autre position formelle, s’articulant autour d’une catégorie hybride d’objets d’art qui n’était « ni peinture, ni sculpture » mais formée d’objets spécifiques (2). Débat avait donc lieu entre une idée spécifique et absolue du médium dans une dynamique réductrice qui caractérise la pensée de Greenberg, et une idée étendue et relationnelle de l’objet d’art dans son contexte pour les minimalistes.
Cet épisode dans l’histoire de l’avant-garde moderniste me paraît capital lorsque l’on considère la peinture dans son contexte contemporain. Non seulement le minimalisme a donné le coup de grâce à la centralité de la peinture dans le projet moderniste, mais il a également déterminé le fondement d’une pratique artistique sur un terrain étendu qui n’était plus lié à un médium spécifique. En outre, Judd fit une distinction entre les contextes américain et européen. Il voyait le fonctionnement atomisé de la composition dans l’oeuvre comme une « relique européenne contestable » (3). Par opposition, il voyait le meilleur de l’art américain récent comme typiquement non-composé, en excès de la surface picturale, relationnel et dynamique. Cette opposition entre composition-surface picturale et non-composition-objet spécifique a amené Morris à développer ses idées autour d’une relation perceptuelle à la forme. En poussant la distinction entre oeuvres composées et non-composées il arriva à une distinction entre formes complexes et unitaires. Une forme complexe exige que le spectateur la désassemble et la comprenne au niveau de ses parties. La compréhension par le spectateur d’une forme simple ou unitaire est, par opposition, immédiate puisqu’elle est véhiculée par le gestalt de la forme et n’exige pas de lecture partie par partie. Cet effet de gestalt était pour Morris le moteur de la réception de l’oeuvre chez le spectateur dans une situation donnée. Afin de renforcer cet aspect, l’art minimaliste avait tendance à être organisé, exhibé et installé en grilles incitant une lecture a priori de l’oeuvre par le spectateur. L’installation qui en résulte peut être pensée comme une « situation » : une oeuvre totalisante qui inclut même le spectateur.
Les problèmes soulevés par ce débat me paraissent capitaux dans la condition contemporaine de la peinture. Ils me vinrent à l’esprit de manière plus surprenante lorsque je vis une pancarte publicitaire pour Euro Disney à l’entrée du quai Eurostar de la gare de Waterloo à Londres, en 1994, ainsi qu’une campagne d’affichage en parallèle dans le métro londonien
(cf. illustration 1).

Le motif visuel de chaque affiche était le fragment d’un personnage de Disney. Pour l’affiche d’Eurostar, c’était l’oeil de Mickey (ses oreilles étaient utilisées pour les affiches dans le métro). L’affiche Eurostar, en plus de représenter Mickey, se dédoublait subtilement en l’image d’un tunnel. Ce qui me frappa avec cette image était l’efficacité de l’image de Mickey comme gestalt. Seule une portion de « Mickey » suffisait à évoquer en instantané toute l’identité de l’image. De plus, le slogan « The Magic is Closer Than You Think » (« La Magie est plus près que vous ne le pensez ») renforçait l’impression d’un fonctionnement automatique et gestaltique de l’image, alternant le fragment et l’identification de ce fragment. L’ingénieuse structure de cette image publicitaire a mis en lumière pour moi un des paradoxes du projet minimaliste ; que ses objectifs relationnels et son utilisation structurelle de formes de gestalt correspondent largement à un modèle visuel, culturel et communicationnel fortement illustré, insidieusement certes, par la campagne de Disney. Les formes de gestalt sont monnaie courante dans les campagnes d’affichage publicitaire, et la campagne Eurostar/Disney illustre clairement leur mise en application.
Le lien se trouve dans l’utilisation d’effets gestaltiques pour donner au spectateur ou au passant une familiarité instantanée avec l’identité de l’objet, compris comme un tout, ce mécanisme opérant pour ainsi dire « plus près que vous ne le pensez ». « La magie est plus près que vous ne le pensez » fait écho au propos de Robert Morris : « On voit et tout de suite on ‘croit’ que le schéma dans son esprit correspond au fait existentiel de l’objet » (4).
Ma pratique en atelier s’est servie de cette conjonction comme prétexte pour un groupe de tableaux qui utilisaient à la fois la syntaxe visuelle des publicités Disney et une rhétorique d’abstraction picturale. J’ai décliné des fragments des Mickey en me servant de trames , de dispositifs de cadrage, de gestes et de coulures. Ce qui m’avait frappé dans les publicités Disney était leur efficacité en tant que gestalts. Avec très peu d’information visuelle toute l’image peut être décryptée, témoignant de l’omniprésence de Mickey si ce n’est sa qualité unitaire. J’ai installé l’image fragmentée de Mickey dans des systèmes de trames, je l’ai utilisée comme thème récurrent en pochoir et l’imprimant sur des fonds de peinture. Des réseaux de gouttes de peinture ont permis de masquer ou de découvrir ces images. L’objectif était d’utiliser la rhétorique historique de la peinture et sa syntaxe comme une intervention dans son déclin critique en tant que médium. Il ne s’agissait pas tant d’un plaidoyer en faveur de le peinture que de récupérer et mettre en avant sa spécificité critique. Les peintures de cette série exploraient un objectif bien précis. Trellis (MM1) (cf. illustration 2) est bordé de camouflages avec au centre une épaisse couche de peinture dans laquelle une image de Mickey fut decalquee et repetee.

De la peinture fut systématiquement égouttée de chaque côté afin qu’elle converge vers le centre, révélant les images imprimées en plus de créer un réseau de gouttes en grille. Le camouflage était un motif appelé ‘Trellis’ qui fut utilisé par l’armée américaine dans la guerre du Vietnam. Peindre du camouflage sur une toile fonctionne de la même manière que les cibles ou drapeaux de Jasper Johns. Comme token image (par exemple une cible peinte fonctionne comme une vraie cible) cela défit une lecture simple ; cela fonctionne à la fois comme camouflage et comme une référence ou une représentation de camouflage. De la même manière les pochoirs de la tête de Mickey (à partir d’une boite en forme de Mickey) sont un déploiement en index de l’image. Ainsi le spectateur est confronté à la matérialité de la peinture. Une série de marques différentes appelle le spectateur et l’incite à faire une lecture de l’oeuvre. Dans le même temps, une couche d’associations génère un champ de références et de significations. Avec une toile comme Trellis (mm2), une syntaxe picturale abstraite s’exerce sur des formes fortement associées à la culture américaine et les questions d’hégémonie. De telles références sont liées de maintes manières à certaines questions sur l’hégémonie culturelle des Etats-Unis soulevées par Serge Guilbaut (5) et Yve-Alain Bois (6), sur lesquelles je reviendrai plus loin. Ce qui m’intéresse avec Trellis (mm2) et les peintures de cette série est de voir comment elles peuvent être lues selon un axe culturel et non purement phénoménologique selon les termes de présence/absence ou de visibilité/invisibilité comme c’est souvent le cas à propos de l’abstraction picturale. Cela me fait penser à l’une des critiques clés de la culture humaniste, Idéologie et appareils idéologiques d’Etat (7), lorsque le biais idéologique des institutions est rendu invisible et devient ‘évident’. Comme l’écrit Althusser: « Comme toutes les évidences, y compris celles qui font qu’un mot « désigne une chose » ou « possède une signification » ( donc y compris les évidences de la « transparence » du langage), cette « évidence » que vous et moi sommes des sujets – et que ça ne fait pas problème – est un effet idéologique, l’effet idéologique élémentaire. C’est en effet propre de l’idéologie que d’imposer (sans en avoir l’air, puisque ce sont des « évidences ») les évidences comme évidences, que nous ne pouvons pas ne pas reconnaître……….. (8)
La tension entre visible et invisible dans Trellis (mm2) engendre une lecture insidieuse; quelque chose de caché et matériel qui travaille dans la représentation et qui transforme des éléments naissant en quelque chose apparemment sujet à des effets idéologiques. L’objectif de la série Closer Than You Think situe le spectateur dans une stratégie picturale dans laquelle vigilance et interrogation de l’ensemble est essentielle (9). L’accent est mis sur la syntaxe et la rhétorique picturales utilisant de la matière culturellement spécifique qui est enfouie dans la structure du tableau.

Quelques notes sur la rhétorique et la syntaxe picturales

Les notions clés qui ont émergé de Closer Than You Think perdurent dans mon travail actuel. Avant d’aborder la prochaine étape j’aimerai dresser un plan de ces discours.

Le discours du ‘spectateur’ (‘The Beholder Discourse’)

Cette expression a été introduite, me semble – t’il, dans Art and Language (‘Art et langage’). Elle fait référence au célèbre essai de Michael Fried Art and Objecthood (10). Cet essai est complexe et a engendré une série de débats depuis sa publication en 1967. Je pense qu’il y a dans cet essai beaucoup à redire, surtout à l’égard de sa défense de la peinture et de la sculpture ‘High Modernist’ Cependant, la notion clé du minimalisme en tant que théâtralité et l’idée que d’une certaine façon la peinture pouvait être anti-théâtralité m’importe le plus, notamment dans la relation critique de Closer Than You Think avec le minimalisme.
Le théâtralité est chez Fried un terme précis qui provient de son travail sur la critique picturale de Diderot (11). Pour lui, le terme se réfère à ce qui existe entre les médiums et à cet espace où l’oeuvre d’art et le spectateur se confondent. Dans La place du spectateur (12). Fried examina de plus près les termes qui pouvaient contrer la théâtralité. Dans la peinture du XVIIIe siècle, le terme de théâtralité pouvait s’appliquer à des figures qui, dans une composition picturale, s’adressent directement à notre espace ou à la présence d’un spectateur imaginaire. La peinture se présente donc non pas comme une peinture mais comme le continuum de l’espace du spectateur. Elle fait une déclaration destinée au spectateur comme pour dire: je ne suis pas une oeuvre d’art mais comme toi je suis réelle. L’absorption, par opposition, dépend de ce qui est représenté et qui ne s’adresse pas au spectateur de cette manière. La scène et les personnages représentés sont absorbés dans leur propre perception du monde et du temps. Le spectateur doit donc négocier l’image principalement comme une oeuvre d’art qui est mise en retrait de l’espace du spectateur, plus spécifiquement comme une représentation et non pas comme quelque chose de ‘réel’. L’absorption, dans ce sens historique, dépend d’un mécanisme interne de la peinture qui peut être considéré comme une tension interne. En effet, la peinture doit simultanément se maintenir comme peinture au sens matériel tout en présentant un schéma pictural. En d’autres termes, le spectateur doit concilier l’oeuvre objectivement et subjectivement, alors qu’il ou elle rencontre son statut d’oeuvre d’art et sa fonction potentiel d’image. La description par Fried de ‘l’absorption’ en terme de peinture du XVIIIe siècle ne servait pas son argument dans Art and Objecthood. Elle s’opposait également à son assertion de la force de la peinture qu’il soutenait en 1967. Elle servit à renforcer l’offensive selon laquelle le minimalisme prenait la peinture d’assaut. Les schémas picturaux de la peinture du XVIIIe amenèrent l’illusionnisme à travers la mise en perspective de l’espace, ainsi que le mimétisme. Ce sont autant d’aspects qui furent mis de côté du canon de l’abstraction ‘High Modernist’. La survie de la peinture après le minimalisme peut toutefois être expliquée en termes de sa capacité d’attirer le spectateur à l’intérieur d’une oscillation de forces qui ressemblent beaucoup à celles prônés comme ‘absorption’ par Fried.

Parallax

L’essai d’Yve-Alain Bois A Picturesque Stroll Around Clara-Clara (13) présente une autre relation avec les tendances ‘totalisatrices’ de la pratique minimaliste d’après-guerre. Robert Smithson fit la remarque que la célèbre photographie aérienne de sa Spiral Jetty était une ‘gestalt journalistique’ qui contredit l’objectif clé de l’oeuvre : situer le spectateur dans une scène en perpétuel changement. L’intention était toujours que le jetty soit une ‘promenade’. Bois explique cette assimilation, par le spectateur, d’une scène changeante en termes d’effets de parallaxe, là où la perception d’un objet dépend et est relative à la position du spectateur. Bois développe cette idée par référence aux intentions de Richard Serra pour son oeuvre monumentale Clara-Clara. l’inclinaison de deux vastes plaques d’acier produit un jeu d’effets parallaxes de sorte que le spectateur ne peut jamais envisager ou maintenir une appréciation compréhensive de la totalité de l’oeuvre. En ce sens Clara-Clara peut être décrite comme une sculpture qui défit les effets gestaltiques. Le spectateur doit empiriquement assimiler ce qui est devant lui puisque les effets de la sculpture ne peuvent être déterminés à priori comme une chose en soi. Bois pousse plus loin cette lecture, en tant qu’une application du pittoresque. Citant René-Louis de Girardin, Bois écrit :
Le pittoresque est avant tout une lutte contre la réduction de tous les terrains à la platitude d’une feuille de papier… (14). Ainsi, comme avec l’absorption et l’anti-théâtralité, les effets de parallaxe et le pittoresque peuvent être analysés comme des techniques de rhétorique qui s’opposent aux effets à priori du gestalt minimaliste. La relation avec le pittoresque sera développée plus tard.

Platitude et Epaisseur

Un exemple de ce que Yve-Alain Bois appelle les deux formalismes est la manière dont les idées sur la spécificité du médium se sont développées aux USA et en Europe tant à travers la pratique artistique que dans l’aire critique et théorique. Greenberg privilégiait la planéité et l’opticalité comme étant le propre de la peinture et ce discours a été dominant jusqu’à relativement récemment. Il y a une alternative française, pour ne pas dire un contre - discours, qui pense la peinture en termes d’une autre catégorie, le tableau, terme complexe qui est moins présent dans la pensée anglo-saxonne. La distinction ici est comment, dans le contexte français, l’épaisseur’ est privilégiée comme la spécificité clé de la peinture. Hubert Damisch a développé cette idée de maintes manières et sa pensée peut-être vue comme une alternative à la position de Greenberg. Sa description de Dessous la Capitale par Dubuffet est un développement du concept clé d’épaisseur.
« Un tel programme suppose que tous les moyens employés dans la fabrication du tableau demeurent apparents, et que le peintre ne sacrifice point à la recherche de l’effet, laquelle implique toujours quelque idée de dissimulation et de surprise. Encore Dubuffet n’y reconnaît-il pas seulement un impératif moral, mais – très concrètement – le principe d’une esthétique. Car ce peintre assume toute la part de la peinture que celle-ci s’appliquait, comme je l’ai dit, à tenir secrète, et d’abord les dessous dont elle est riche. Si Dubuffet n’apprécie guère la pratique par à-plat, c’est que l’observateur des Dessous de la capitale (la Métromanie, 1943), et le géologue qu’il est devenu par la suite, aime à travailler dans l’épaisseur du sol – je veux dire du tableaux - , à en dévoiler les dessous : gratter le papier, inciser et battre la pâte, l’écorcher, la fouetter pour en révéler les couches sous-jacentes, voilà qui lui procure les satisfactions les plus fortes, et ce n’est pas seulement par image qu’on a pu dire de lui qu’il mettait le paysage « à vif ». Mais qu’est-ce à dire ? Dubuffet céderait-il à son tour à l’illusion des arrière-mondes ? ne se satisfait-il pas d’avoir atteint le fond ? lui faut-il fouiller plus avant encore – au-delà du sol, gratter jusqu’au sous-sol ? » (15)
L’épaisseur ici ouvre de réelles possibilités pour penser à travers la peinture — la notion du travail en relation avec la surface revient à une idée ‘d’excavation’ du tableau en plus de la peinture. La référence de Damish au futur ‘géologiste’ que deviendra Dubuffet anticipe ce que la surface de la peinture allait représenter, épistémologiquement et comme objet de connaissance, pour beaucoup d’artistes français, en particulier ceux associés au courant Supports/Surfaces. La description par Damisch du fonctionnement de cette surface comme une entité matérielle en soi met en question la notion selon laquelle la planéité de la peinture est une limite spécifique du médium ainsi qu’une condition a priori. Greenberg focalise la spécificité du médium au niveau de la surface plane. L’hyper-réalisation de l’illusionnisme optique qu’il estimait inhérente à la peinture, empêche la peinture de fonctionner matériellement en termes de surface comme ‘épaisseur’. Supports/Surfaces fut justement une démonstration de telles possibilités, où la manipulation matérielle de la surface était considéré comme un site d’inscription dans la peinture qui mettait en cause les idées de fond et champ en cours aux Etats-Unis. L’utilisation par Damisch de l’épaisseur à travers un nombre de textes à partir du début des années soixante s’est accompagnée d’une oscillation de sa relation avec la peinture et, plus généralement, le tableau. L’utilisation de la notion de tableau à la place de peinture est hautement significative et complexe en relation avec la pensée critique française.

Ply-ground, Mono-ply, Multi-ply & Riposte

Après Closer Than You Think, mon travail est passé par une étape dans laquelle les notions que je viens d’aborder constituent une stratégie de base pour trois séries d’oeuvres liées. Ply-ground 1998-2000 (cf. illustration n. 3),

Mono-ply, 2000 – 2002 (cf. illustration n°4)

and Multi-ply, 2000 – present (cf. illustration n°5)

utilisent une technique développée pendant Closer Than You Think lorsque j’ai commencé à utiliser du ruban adhésif. J’ai trouvé qu’un faisceau de peinture avait coulé en dessous du ruban et cela permettait de re-fonder des morceaux d’une peinture. Dans les tableaux Ply-ground, l’image de Mickey, le camouflage et les égouttements sont inscrits dans différents réseaux linéaires qui s’entrelacent. Le premier de ces tableaux a un fond noir et les réseaux linéaires furent masqués avec une première couche de peinture blanche suivie par du noir et puis couvert par un motif. Lorsque le ruban adhésif est retiré, un faisceau de peinture blanche reste autour de tout le réseau linéaire. Dans Mono-ply le même procédé est utilisé mais sans les motifs. Le sens ici que chaque réseau est enfoui dans le tableau est signifiant. Les tableaux Mono-ply étaient monochromes à part le halo blanc autour de chaque réseau linéaire qui indique la sous-couche des peintures. Dans Multi-ply les peintures sont faites en séries de six, chacun des six tableaux ayant un fond coloré différent. Dans chaque tableau, il y avait cinq réseaux linéaires qui s’entrelacent. Chaque réseau utilise une première couche de couleur des autres tableaux de la série, la seconde couleur étant la même que celle du fond. J’entends à travers ces oeuvres d’utiliser la matérialité et la construction du tableau afin de détourner le spectateur vers une série de lectures. Le principe ici est celui d’une sorte d’effet parallaxe, plus fortement prononcé dans la série Ply-ground où chaque réseau de fond a un motif différent. Dans Multi-ply le codage de couleur de chaque fond agit comme un détournement entre les différents tableaux. Ces oeuvres sont fondées aussi sur l’axe critique planéité/épaisseur et avec Mono-ply et Multi-ply l’aspect réducteur de la peinture monochrome est mis en avant.
Dans Riposte 1 & 2 (cf illustration n°6)

cette logique de construction devient une forme tri-dimensionnelle ou sont redéployés le Mickey, le camouflage et la grille qui sont le vocabulaire visuel de Closer Than You Think. cette œuvre peut être vécue comme une promenade à l’intérieur de la structure de l’oeuvre, afin de déterrer ses éléments discrets ; éléments qui sont tantôt singuliers et évidents, tantôt entrelacés. Ces quatre séries d’oeuvres mènent directement à mon travail depuis 2005, les tableaux Sublimey.

Sublimey

J’ai commencé la série blanche et noire Sublimey en 2002 comme moyen d’intégrer plusieurs aspects de la série Closer Than You Think et les tableaux Ply. j’ai aussi cherché à la positionner de telle sorte que les structures esthétiques particulières soient matérielles dans la réception de l’oeuvre. Comme Closer Than You Think, Sublimey utilise des modes de représentation où des procédés de peinture abstraite offrent aussi un examen des forces cuturelles hégémoniques. Dans Closer Than You Think, cet aspect fut structuré par rapport à la culture américaine, populaire (‘pop’), le minimalisme et plus généralement le contexte d’après-guerre. Dans Sublimey les reférences et le contexte sont plus européens, et plus particulièrement britannique. Une mise en structure formelle de formes et d’images à l’intérieur du procédé de ‘re-fondement’ premièrement avancée dans les tableaux Ply-ground est au centre de la construction de ces oeuvres. Cette diversification de motifs en figure ou en fond à l’intérieur d’une ‘scène’ et de l’oeuvre comme tableau est liée à l’objectif de structurer la peinture autour d’effets parallaxes ; à savoir une série d’interpellations rhétoriques et formelles qui empêchent une lecture totalisante, ou gestaltiques de l’oeuvre. Le contexte européen est ici consolidé autour d’un débat esthétique du XIXe siècle entre les deux extrêmes ; le sublime et le beau. Le développement par Uvedale Price du pittoresque comme un point central entre ces deux pôles et même comme une correction de leurs excès est une référence importante pour Sublimey (16). Nombre de procédés et de stratégies en sont dérivés. Comme avant, il y a d'abord le procédé d’inscription, de ‘re-fondement’, à travers l’usage de ruban adhésif masquant, d’un élément distinct dans le régime pictural. Cela a l’effet de ressembler à un collage d’une forme ou d’une image dans le tableau. L’effet de faux collage est une façon d’articuler l’ensemble plutôt comme une série de disjonctions distinctes et discrètes que comme un espace uniforme et synthétisé. De plus des opérations picturales animent l’espace entre la surface virtuelle de la peinture et sa fonction comme support d’inscriptions d’images ou de formes. Comme dans Closer Than You Think, les images sont couchés dans la surface de la peinture, jouant ainsi entre entité discrète qui est lisible et évidente, ou sujette à son environnement ou même paraissant être de la matière informe. L’aspect pictural renforce aussi le statut de la peinture comme surface. Il est plat et lorsque la surface est mise en biais de sorte que la peinture coule le long d’un axe vertical ou horizontal, il exprime son potentiel à l’intérieur d’un espace de peinture étendu. Le jeu entre stratégies picturales, forme et inscriptions d’image établit une grille dans laquelle des évènements picturaux coïncident, créant une scène composée de plusieurs couches qui opèrent dans un ordre de visibilité, d’invisibilité et d’effacement.
Le processus de sélection d’image et de transcription est devenu vital pour mon travail. Pour une large part les images sont trouvées sur internet en fichiers à faible résolution. Après une mise au point dans Photoshop, où elles sont schématisées en graphismes noirs ou en silhouettes elles sont imprimées et projetées sur la toile par l’intermédiaire d’un projecteur. Ce procédé est à la fois proche et distant. Je pars de l’aporie qu’est l’internet, de la transcription en schéma, à la proximité physique avec la toile dans l’atelier assombri. Le proche et le distant sont comme l’inversion d’une perspective des proche, moyenne et longue distances. En outre, cette réalisation de l’image a quelque chose en commun avec le readymade /objet trouvé. La retranscription ici est une recontextualisation de l’image comme objet. C’est une problématique du collage.
L’échantillonnage et la prise d’images pour Sublimey est devenu un processus en lui-même. Les différentes catégories d’image ont mis en lumière des mécanismes picturaux distincts qui sont le résultat des qualités rhétoriques des images. Sublimey 3, 23 et 26 (cf illustration n°7) utilise la tête comme motif ; la silhouette d’un monarque, Elizabeth II d’Angleterre, et deux images crâniennes.


En tant qu’images de têtes, tous deux ont des qualités iconographiques : dans le cas du monarque, le regard panoptique et insidieux et dans le cas du crâne, la mortalité et la vanité. Dans chaque cas, la transition entre la référence réelle de l’image et sa signification iconographique sont axiomatiques dans l’incorporation matérielle des images dans le régime pictural. Le passage du réel vers l’iconographique est souligné par l’incorporation des images dans les tableaux ; l’échelle anthropomorphique et l’orientation verticale de la toile et ce sens que l’image se déplace à l’intérieur et à travers le champ de signification. Dans d’autres œuvres, l’aspect lexical détermine la relation entre images et la construction de la peinture. L’extinction et la temporalité sont des thèmes récurrents pour de telles images : dinosaures, squelettes, machines et objets obsolètes. Certaines images, telle la guitare Fender Stratocaster et la mitraillette AK47, évoquent des associations iconographiques avec un potentiel allégorique, images qui sont au centre d’une série de peintures couleurs que je réalise actuellement et que j’ai provisoirement intitulée Nevermind.
Mon intention, de Closer Than You Think à Sublimey et maintenant dans Nevermind, (cf illustration n°8) est de positionner le spectateur dans une relation active avec les tableaux.

En localisant l’image à l’intérieur d’un régime visuel et pictural, le tableau offre son dispositif au spectateur afin de lui donner un sentiment de l’oeuvre qui oeuvre. Pour résumer, les idées que je présente sont une sorte d’éthique de construction et de représentation. Ce régime n’assouplit pas les demandes de la pratique quotidienne de la peinture ; l’expérimentation, les accidents et l’intuition, pour ne pas mentionner le succès ou l’échec de la réception de l’oeuvre.

© texte & images, Mick Finch, 2005.
Traduction par Thomas Romer

Notes:
1. Michael Fried, Art and Objecthood, University of Chicago Press, Chicago and London, 1998. pp 33 – 40 aussi dans Art in Theory 1900-1990, Blackwell Oxford UK & Cambridge USA.
2. Donald Judd, Specific Objects, in Judd, Complete Writings, Halifax Nova Scotia,1975 auusi dans Art in Theory 1900-1990, Blackwell Oxford UK & Cambridge USA.
3. Ibid.
4. Robert Morris, Notes on Sculpture 1-3, in Art in Theory 1900-1990, Blackwell Oxford UK & Cambridge USA.
5. Serge Guibaut, How New York Stole the Idea of Modern Art: Abstract Expressionism, Freedom and the Cold War,
Chicago, 1985.
6. Yve-Alain Bois, Painting as Model, Cambridge USA, 1990, dans l'Introduction: Resisting Blackmail, pp xi – xxix.
7. Louis Althusser, Idéologie et Appareils Idéologiques d’Etat, publiée dans La Pensée, Paris,1976, pp 3-38. English version in Art in Theory 1900-1990, Blackwell Oxford UK & Cambridge USA pp 928-936.
8. Ibid.
9.Voir aussi: Painting As Vigilance, Contemporary Visual Art Magazine (15), London ; New Technology, New Painting?, Contemporary Visual Art Magazine (17), London and , Night Shift, dans le numero hors serie de Contemporary Magazine (58), ' The Situation of Painting'. All these texts can be found at http://www.mickfinch.com/texts.htm
10. Michael Fried, Art and Objecthood, University of Chicago Press, Chicago and London, 1998. pp 148 – 172.
11. Michael Fried. Absorption and Theatricality: Painter and Beholder in the Age of Diderot, Chicago,1980.
12. Ibid.
13. Yve-Alain Bois, Promenade pittoresque autour Clara-Claradans la catalogue de l'exposition de Richard Serra, Centre Georges Pompidou, Paris,1983. Version anglais - A Picturesque Stroll Around Clara-Clara dans October: the first decade, 1976-1986 MIT press,1987
14. Ibid. Quotation by René-Louis de Giradin, De la composition des paysage (1777), Editions du Champ Urbain, 1979, p19.
15. Hubert Damisch, Fenêtre jaune cadmium, Seuil Paris, 1984, pp99-120.
16. Uvedale Price On the Picturesque, 1794 Essay on the Picturesque, 1796-8 et 1801,